La législation à l’égard des personnes condamnées pour des délits sexuels ne protège pas toujours les enfants contre les crimes sexuels mais conduit au harcèlement, à l’ostracisme et même à des violences à l’encontre d’anciens délinquants, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport paru aujourd’hui. Human Rights Watch exhorte à la réforme des lois d’enregistrement national et fédéral et des lois de notification aux communautés, ainsi que l’abandon des restrictions de résidence, parce qu’elles violent les droits fondamentaux des anciens délinquants.
Le rapport de 146 pages, intitulé « Aucune réponse évidente : les lois en matière de délinquance sexuelle aux Etats-Unis » (« No Easy Answers: Sex Offender Laws in the United States »), est la première étude globale sur les politiques adoptées aux Etats-Unis en matière de délinquance sexuelle, leur impact sur la sécurité publique et l’effet qu’elles peuvent avoir sur les anciens délinquants sexuels et leur famille. Durant les deux années d’enquête pour ce rapport, les chercheurs de Human Rights Watch ont réalisé plus de 200 entretiens avec des victimes de violences sexuelles et leurs proches, d’anciens délinquants, des responsables du gouvernement et d’organismes d’application de la loi, du personnel soignant, des chercheurs ainsi que des militants pour la protection des enfants.
« Human Rights Watch partage l’objectif de la population de protéger les enfants contre les abus sexuels », a déclaré Jamie Fellner, directeur du programme Etats-Unis à Human Rights Watch. « Mais la législation actuelle est peu élaborée et mal faite. La protection des enfants requiert une approche plus réfléchie et plus globale que celle défendue à ce jour par les dirigeants politiques. »
Dans de nombreux Etats, l’enregistrement est obligatoire pour toute personne condamnée pour un délit sexuel, allant du viol d’enfant aux relations sexuelles entre adolescents consentants, sans que ne soit pris en compte la menace potentielle que cette personne peut représenter pour les enfants dans le futur. L’accès public et non restreint aux registres en ligne des délinquants sexuels, sans restriction fondée sur la « nécessité de savoir », place les anciens délinquants sexuels devant le risque que des individus agissent de manière irresponsable et même illégale sur base de cette information. Rien ne prouve que cette forme de notification à la communauté permette de prévenir les violences sexuelles. Les restrictions de résidence bannissent les anciens délinquants sexuels de villes entières, ce qui les force à vivre loin de chez eux, de leur famille, de leur emploi et de traitements, et empêche toute supervision par les organismes d’application de la loi. Les restrictions de résidence sont contreproductives pour la sécurité publique et nuisent aux anciens délinquants.
La législation à l’égard des délinquants sexuels reflète l’inquiétude qui existe parmi la population de voir les enfants encourir des risques importants d’abus sexuels par des inconnus qui sont des délinquants récidivistes. Ainsi que le décrit le rapport, les véritables risques encourus par les enfants sont cependant bien différents : les statistiques du gouvernement indiquent que la plupart des abus sexuels sur des enfants sont commis par des membres de la famille ou des personnes de confiance, et par des individus qui n’ont jamais été condamnés auparavant pour un délit sexuel.
De plus, la législation reflète l’idée largement répandue, mais pourtant erronée, « qu’être délinquant sexuel une fois, c’est être délinquant sexuel pour toujours ». Des études faisant autorité en la matière indiquent que trois délinquants sexuels adultes sur quatre ne récidivent pas. D’autre part, les traitements peuvent être efficaces même pour les personnes ayant commis des délits sexuels graves.
« Les politiciens n’ont pas fait leur travail avant de décréter ces lois sur la délinquance sexuelle », a ajouté Sarah Tofte, chercheuse pour le programme Etats-Unis à Human Rights Watch. « Au lieu de cela, ils n’ont fait que faire perdurer les mythes à propos des délinquants sexuels et n’ont pas réussi à saisir les réalités complexes des violences sexuelles à l’égard des enfants. »
Les politiques d’enregistrement
La législation fédérale, ainsi que les législations des 50 Etats, requièrent que les adultes et certains mineurs condamnés pour divers crimes à caractère sexuel enregistrent leur adresse et d’autres informations auprès des organismes d’application de la loi. Étant donné que les obligations d’enregistrement sont démesurées et que leur durée est trop longue, il existe plus de 600 000 délinquants sexuels enregistrés aux Etats-Unis, en ce y compris les individus condamnés pour des délits non violents tels que les relations sexuelles consentantes entre adolescents, la prostitution et uriner en public, ainsi que les personnes qui ont commis leurs seules infractions y a des dizaines d’années.
« Les gens pensent que toute personne inscrite sur un registre de délinquants sexuels est dangereuse », a indiqué Fellner. « Mais quel sens existe-t-il à exiger l’enregistrement d’un adolescent qui s’est exhibé pour faire une farce à l’école ou même de quelqu’un qui a agressé un enfant il y a 30 ans ? »
La plupart des Etats ne procèdent pas à une évaluation individuelle des risques avant d’exiger un enregistrement. Ils ne proposent pas non plus aux anciens délinquants un moyen de se voir retirer du registre sur présentation d’une preuve de leur réhabilitation ou après des années de bonne conduite.
Human Rights Watch estime qu’il n’existe que peu d’éléments pour justifier le moindre enregistrement de jeunes délinquants, même pour ceux qui ont commis des délits graves. Il est fort probable que la plupart d’entre eux s’affranchissent ce genre de comportement, surtout s’ils suivent un traitement. Le taux de récidive chez les jeunes est extrêmement bas, et peu de délinquants adultes ont commis des délits sexuels lorsqu’ils étaient jeunes.
Dans son rapport « Aucune réponse évidente » (« No Easy Answers »), Human Rights Watch recommande que les obligations d’enregistrement soient limitées aux personnes jugées comme pouvant poser un véritable risque de récidive grave.
Les registres en ligne
En raison des lois de notification à la communauté, tous les Etats disposent désormais de registres en ligne de délinquants sexuels, accessibles publiquement. Ces registres fournissent des informations sur le passé criminel d’anciens délinquants, ainsi que leur photo, leur adresse actuelle, et souvent d’autres informations telles que leur numéro de plaque d’immatriculation.
Ces lois ne limitent pas l’accès aux registres en ligne: toute personne disposant d’une connexion Internet peut savoir qui est inscrit dans le registre, n’importe où dans le pays. Les conséquences pour les personnes qui y sont enregistrées sont dévastatrices. Leur vie privée est brisée. Nombre d’entre eux ne peuvent trouver ou garder un emploi, ni même trouver un logement abordable. Leurs enfants sont harcelés à l’école, leurs épouses ont également été forcées de quitter leur emploi. Certains anciens délinquants inscrits dans les registres en ligne ont été chassés de leurdomicile, des pierres ont été lancés à travers leurs fenêtres, et des ordures ont été répandues à l’entrée de leur habitation. Ils ont été battus, brûlés, poignardés et leurs domiciles ont été incendiées. Au moins quatre personnes enregistrées ont été prises pour cible et tuées par des inconnus après que ces derniers ont trouvé leurs noms et adresses dans les registres en ligne. D’autres encore ont été poussées au suicide.
Human Rights Watch comprend le désir des parents de vouloir savoir si de dangereux délinquants vivent à deux pas de chez eux. Mais une notification à la communauté, qui soit à la fois élaborée avec prudence et fournie directement par un organisme d’application de la loi, leur donnerait l’information voulue tout en minimisant le dommage subi par les anciens délinquants.
Les restrictions de résidence
Un nombre croissant d’Etats et de municipalités interdisent également à des délinquants enregistrés de vivre à moins de certaines distances (généralement de 150 à 750 mètres) de lieux où des enfants se rassemblent, par exemple des écoles, des terrains de jeux et des garderies. Nombre de ces restrictions s’appliquent même à des délinquants qui n’ont pas été condamnés pour des abus sur des enfants. Et même lorsque des délinquants ont agressé des enfants, les données disponibles suggèrent que leur interdire de vivre à proximité de lieux où des enfants se rassemblent ne réduit pas la probabilité qu’ils ont de récidiver. De nombreux responsables de l’application de la loi et des personnes soignant des délinquants sexuels insistent sur l’importance de la stabilité et du soutien dans la réduction du récidivisme. Ils condamnent les restrictions de résidence qu’ils jugent contreproductives parce qu’elles isolent et rabaissent des personnes qui nécessitent un contact familial, un traitement et une supervision. Des lois de mise en liberté conditionnelle et de probation prévoient déjà des restrictions individualisées et des mises sous conditions pour d’anciens délinquants lorsque cela s’avère nécessaire.
Human Rights Watch en conclut que les lois de restriction de résidence doivent être abandonnées.
« Les restrictions de résidence ne résolvent rien », a insisté Tofte. « Elles font simplement en sorte qu’il soit presque impossible pour d’anciens délinquants de se reconstruire une vie. »
Le rapport de Human Rights Watch fait état de plusieurs cas où la vie de personnes a été affectée de manière significative par ces restrictions. Une femme qui, lorsqu’elle était étudiante dans le secondaire, avait eu des relations sexuelles orales avec un autre adolescent, a du quitter son domicile en raison de sa proximité d’une garderie. Un entraîneur de softball qui six ans auparavant avait mis la main aux fesses d’un de ses joueurs âgé de 12 ans, ne peut plus vivre avec sa femme et sa famille parce que sa maison se trouve dans une zone qui lui est interdite.
La loi Adam Walsh
La loi fédérale Adam Walsh, adoptée en 2006, va exacerber les problèmes déjà existant avec les lois d’Etat en matière de délinquance sexuelle. Elle incite les Etats à soit augmenter de manière importante l’étendue et la durée de l’enregistrement et les restrictions en matière de notification à la communauté – y compris d’exiger des Etats qu’ils enregistrent des jeunes d’à peine 14 ans – soit perdre une partie des subsides fédéraux qui leur sont alloués pour appliquer la loi. La mise en conformité avec la loi empêche les Etats d’adopter des politiques mieux adaptées et plus économiques en matière d’enregistrement et de notification à la communauté. Certains Etats lancent au moins le débat pour évaluer si les coûts d’une mise en conformité avec la loi ne sont pas plus importants que les avantages. Human Rights Watch exhorte à une réforme de la loi Adam Walsh.
Recommandations
Dans son rapport « Aucune réponse évidente » (« No Easy Answers »), Human Rights Watch adresse un certain nombre de recommandations aux gouvernements d’Etats :
- Refuser de changer les lois d’enregistrement et de notification à la communauté dans le but de se conformer aux obligations de la loi Adam Walsh;
- Abandonner les lois de restriction de résidence;
- Limiter l’obligation d’enregistrement aux personnes qui ont été condamnées pour des crimes graves et qui ont personnellement été jugées comme posant un risque significatif de récidive ; et,
- Empêcher toute diffusion illimitée des registres d’information en mettant fin aux registres accessibles au public en ligne. Les notifications à la communauté devraient seulement être entreprises par les organismes chargés de l’application de la loi, et seulement pour les personnes enregistrées qui posent un risque significatif de récidive.
« Tout le monde a le droit de vivre sans subir de violence sexuelle », a conclu Tofte. « Les Etats devraient élaborer des lois qui puissent protéger ce droit de manière équitable et raisonnable. »